Je ne suis pas une “Girlboss” !
Le phénomène « Girlboss » dans l’entrepreneuriat au féminin
Popularisée en 2014 par l’Américaine Sophia Amoruso dans son livre autobiographique #GIRLBOSS, l’expression du même nom “Girl Boss” fait miroiter l’image d’une femme accomplie qui « a le job de ses rêves » et qui a tout obtenu par son ambition et son travail acharné.
On vend du girl power à grande échelle, alors qu’en réalité le concept de Girlboss profite surtout à un modèle capitaliste bien huilé. En clair, on encourage les femmes à embrasser un idéal de réussite individuel sans remettre en question le système en place.
N’en déplaise aux pseudo-féministes libérales, adopter l’étiquette Girlboss ne suffit pas à faire progresser la cause des femmes. Avoir une femme à la tête d’une entreprise ne rime pas automatiquement avec progrès social.
En d’autres termes, la Girlboss recycle les codes du succès tels qu’établis par un monde d’hommes, sans en bouleverser les valeurs. Ce vernis d’« empowerment » individuel fait trop souvent oublier la lutte collective pour de vraies valeurs féministes et une société plus juste.
Hyperproductivité : l’envers du décor du concept Girlboss
Derrière le glamour affiché du lifestyle Girlboss – business florissant, voyages aux quatre coins du monde, look impeccable – se cache une réalité bien moins reluisante.
On conditionne les femmes à être toujours plus productives, toujours sur tous les fronts, sans jamais prendre de pause. Travailler jour et nuit, sacrifier son repos et même son bien-être, devient un impératif pour mériter le titre de « femme qui réussit ».
Au nom du concept Girlboss, on finit par devenir l’esclave d’une hyperproductivité dictée par le capitalisme, à vouloir en faire toujours plus pour « réussir à tout prix ».
Cette pression permanente engendre un profond sentiment de culpabilité chez les femmes qui n’arrivent pas à maintenir ce rythme effréné. Si vous n’êtes pas au top 100 % du temps, on vous fait sentir que vous n’êtes « jamais assez ».
Le pire, c’est que même celles qui parviennent à réaliser des exploits en enchaînant les journées de 12 heures ne sont pas épargnées par la critique. Les Girlboss qui “réussissent” se heurtent à une vague de détracteurs qui cherchent la moindre faille pour les décrédibiliser.
Elles ont beau faire leurs preuves, elles essuient insultes et remarques misogynes : elles préfèrent leur carrière à leurs enfants, elles sont avares et assoiffées de pouvoir. Ce qui n’est jamais le cas des hwords. D’ailleurs, en parlant d’eux…
Le double standard : pourquoi pas de « Boyboss » ?
Une question se pose alors : pourquoi parle-t-on de Girlboss pour les femmes, alors que personne n’emploie le terme « Boyboss » pour les hommes ? La réponse tient au double standard ancré dans notre société.
Pour les hommes, la réussite professionnelle va de soi. Historiquement, monsieur travaille et fait carrière, pendant que madame gère tout le reste à la maison.
« Derrière chaque grand homme se cache une femme », dit l’adage. En gros, une femme qui s’occupe des enfants, du ménage, de l’administratif. Bref, de l’intendance (GRATUITEMENT) pendant que monsieur brille au travail.
La carrière des hommes est perçue comme légitime et attendue, là où celle des femmes demeure un exploit qui étonne. Ainsi, qualifier une femme de Girlboss sous-entend qu’elle accomplit quelque chose d’exceptionnel en réussissant là où l’homme, lui, est dans son rôle naturel.
Par ailleurs, notre société patriarcale attend d’une femme qu’elle soit performante sur tous les tableaux. On exige d’elle qu’elle soit :
- une mère irréprochable,
- une épouse/amante exemplaire,
ultra efficace dans son travail, - toujours présentable et souriante,
le tout sans jamais faillir ni se plaindre.
Et bien sûr, elle doit accomplir ce grand spectacle (parce que la performance doit être au top, qu’on s’entende bien) avec le sourire et sans déranger personne. Un niveau d’exigence impossible à atteindre.
A contrario, un homme n’aura pas besoin d’en faire autant pour être valorisé : on considérera qu’il fait déjà sa part s’il réussit professionnellement, sans trop s’attarder sur son implication familiale ou son apparence.
Ce deux poids, deux mesures, est non seulement injuste, mais aussi nocif pour tout le monde. Il enferme les femmes dans un sentiment d’insuffisance permanent et les pousse à l’épuisement.
Vers un féminisme authentique : faire entendre nos voix
Soyons clairs : l’émancipation des femmes et le changement de la société ne passeront jamais par des mots-clés marketing comme « Girlboss ».
Notre liberté ne se gagnera pas en jouant selon les règles d’un système qui exploite notre désir de réussir. Au contraire, la véritable émancipation exige de remettre en cause ces règles du jeu.
Cela passe par des prises de position courageuses, par le fait de revendiquer haut et fort nos droits, nos besoins, et par la visibilité de nos combats.
Il faut sortir du mythe de la femme parfaite et productiviste pour embrasser celui de la femme humaine et complexe, avec ses forces et ses faiblesses, qui a le droit à l’erreur et au repos autant qu’au succès.
Plutôt que d’adopter le costume étriqué de la Girlboss, affirmons-nous en tant que femmes à part entière, déterminées à faire bouger les lignes.
Cela implique de raconter nos vérités, de partager nos expériences et de ne plus taire ce qui nous révolte.
(À ce titre, apprendre à parler de soi et à raconter son histoire peut être un premier pas puissant vers l’affirmation de soi ; j’en parle d’ailleurs dans Bad Her Story, ma formation pour oser prendre la parole).
Car oui, chaque voix compte, et c’est en faisant entendre la nôtre que nous finirons par fissurer le plafond de verre plutôt que de simplement tenter d’y grimper seule dans notre coin.
En conclusion, je refuse d’être une Girlboss. Ce terme ne définit pas ma valeur. Et il ne devrait pas non plus définir la vôtre.
Nous ne sommes pas des Girlboss – nous sommes bien plus que cela.